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Cinématurnome s'intéresse au cinéma plus ou moins oublié (qui a donc 20 ans ou plus). On aime pas attribuer des notes ici alors pour faire joli il y a des lunes qui indiquent un facteur relatif d'obscurité, comme ça, pour rien.

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mercredi 5 juin 2013

James Batman



Un film d'Artemio Marquez
Philippines, 1966





Dans les années 60, le cinéma des Philippines connaît une période très productive mais très commerciale, accrocheur et sans pudeur, qui va dériver à la fin des années 60 dans un softcore érotique nommé le cinéma Bomba. La culture de la jeunesse du pays, très occidentalisée, incite les studios de cinéma à créer des suites illégitimes ou des plagiats de la pop américaine et britannique. C'est un phénomène qui s'est produit un peu partout dans le monde, l'exemple Turc étant bien connu des spécialistes du navet, mais cette production des Philippines reste encore obscure. Il y a eu entre autre plusieurs films de James Bond ainsi qu'une série de films inspirés du Batman de la télévision. James Batman réuni ces deux icônes dans un même film.

L'organisation CLAW, dirigée vraisemblablement par un cousin de Fu Man Chu, complet avec le pouvoir de tirer des éclairs du bout de ses doigts, lance un ultimatum de 5 jours à une union de pays asiatiques et européens de se soumettre à leur autorité sans quoi une bonne partie de la terre sera anéantie. Pour prouver son point, le cousin de Fu Man Chu présente à ces dirigeants un clip mélangeant des archives de vieux tests nucléaires et des archives d'un petit débordement de rivière, ce qui terrifie complètement tout le monde. Le danger de l'organisation CLAW est tellement grand et jamais vu qu'il faut faire appel à James Bond ET Batman. C'est grave. Petit problème cependant : Nos deux héros ne s'aiment pas beaucoup...

James Bond et Batman sont joués par Dolphy, un acteur comique très célèbre alors. Les choses se compliquent par contre : l'identité secrète de Batman n'est plus Bruce Wayne ici mais ... Dolphy, qui joue donc son propre rôle quand Batman est sans déguisement. Beaucoup plus troublant cependant est Robin ; même sans son déguisement, les gens continuent de l’appeler Robin, comme si il était évident qu'il était le justicier masqué même sans déguisement, et que cela ne dérange personne.

On a également droit à deux des ennemis jurés de Batman, Joker et le Pingouin. Si ce dernier ressemble un peu à l'original, Joker est complètement transformé en punk à lunettes fumées qui a perdu une main, et qui tient dans l'autre un fusil gigantesque.





La présence de Dolphy fait qu'il s'agit d'une comédie. Le côté ridicule semble assumé, mais les sketchs comiques sont plutôt catastrophiques. Les dialogues sont mauvais, mais l'acteur s'en sort par son talent comique qui est réel, grâce à quelques petits détails qu'il ajoute dans son jeu, comme nettoyer ses mains sur la cape de Robin après avoir mangé. Heureusement, le film a davantage de scènes d'actions (le film en est presque saturé) ou dramatiques qui sont au final les véritables scènes comiques. Le bas budget, le scénario sans queue ni tête qu'on oublie quelque part au milieu du film, l'humour enfantin ont de quoi amuser. L'intérêt principal évidemment est de voir ces personnages bien connus parodiés de la sorte, mais finalement on en retire davantage.

Le film s'efforce d'être de bonne facture, avec des mouvements de caméra, des cadrages stylés - parfois à l'excès, je pense à une scène de combat où un vilain tombe visiblement par accident sur la caméra, ce qui manque de faire trébucher le caméraman - mais le montage de ces scènes est quasiment faite au hasard, en étirant des scènes inutiles un peu trop longtemps ou en coupant trop court ailleurs. Le combat final du film, ou entre autre s'oppose James Bond et le Pingouin dans un lieu très propice à un climax de film James Bond et complet avec le thème de Batman qui joue (avec un solo d'orgue déchaîné!) est... très long. Et malgré qu'il alterne entre trois combats simultanés, demeure plat. Mais heureusement rien dans ce film dépasse la barre qui mène à l'ennui, et les quelques moments de vide durent juste assez longtemps pour qu'on se demande, mais qu'est-ce que je suis en train de regarder? ...Un épisode très très étrange du vieux Batman, peut-être, et encore.




Une petite note à propos du film suivant celui-ci dans la série des Batman des Philippines. Batman Fights Dracula (1967) était le premier en couleur de la série, tourné dans un autre studio avec une équipe et des acteurs complètement différents. Malheureusement le film est aujourd'hui considéré perdu, un rappel que les films disparus ne se limite pas qu'au cinéma muet et les premiers films parlants. James Batman quant à lui a survécu, mais en très mauvais état.


vendredi 31 mai 2013

Человек уходит за
птицами



Un film d'Ali Khamraev
Ouzbékistan, 1975
V.F. : L'homme suit les oiseaux




Quand j'ai croisé par hasard ce film, j'ai tout d’abord été saisi par les quelques images que je trouvais sur le net. Beaucoup de paysages variés, à travers les quatres saisons, toujours en nature. Il y a aussi cette espèce d'esthétique soignée qui me fait dire, ben oui, c'est un film soviétique, tantôt on dirait du Paradjanov, tantôt du Tarkvoski... Bon ben il faut que je vois ça.

Et donc il s'agit d'une histoire du passage de l'enfance à l'âge adulte, mais dans l'Ouzbékistan médiéval. Ça suffit pour être déjà intéressant non?

Farouk est un adolescent qui n'a pas grand chose pour lui, étant détesté dans son village, principalement parce que son père, sa seule famille, est un ivrogne fini. Avec son seul ami, un orphelin, ils partent en nature, loin du monde cruel qui ne souhaite rien d'eux. Un autre personnage se joint à eux, et le film prend des allures de road trip. Mais le rythme ici est beaucoup plus lent et éclaté, se structurant sur un poème prononcé au début du film et des paroles prononcées à la toute fin. Le poème parle du renouveau du printemps, et le film se structure autour du changement des saisons.

L'influence du cinéma artistique soviétique rend la trame de cette histoire plus mystérieuse encore, alternant entre des scènes contemplatives, parfois hors du récit et purement symboliques et des scènes du quotidien. Pour renforcer l'esthétique, la bande-son alterne entre des pièces de style baroque, de l'électro-acoustique et de la musique traditionnelle ouzbek. L'électro-acoustique détonne un peu parfois mais le reste est cohésif.




Cependant si je parlais de Tarkovski ou de Paradjanov plus tôt, ce film-ci m'a semblé beaucoup moins profond et complexe dans sa thématique que leurs films. On ne cherche pas de film épique ici, au coeur de la chose se cache un film dramatique centré sur un personnage qui doit apprendre à prendre les mauvais coups et vouloir se combattre, la vie est un combat tout ça. Nos personnages quittent la société cruelle et vilaine pour aller vivre en marge, et vivent dans un équilibre de hauts et de bas apportés par les saisons. Ils sont romantiques et naïfs et adolescents.

Mais la légèreté n'est pas un défaut, et cela permet à l'aura mystérieuse de l’Ouzbékistan médiéval vu à travers le cinéma d'art soviétique de prendre toute sa place. C'est un film qui peut se regarder de nouveau pour se perdre dans son univers, ses longues scènes, ses décors (et pas seulement naturels, il y a de jolies ruines et quelques scènes de village). Parfois l'esthétique exagère, avec quelques flashbacks mélodramatiques (appropriés pour un adolescent, je suppose, même si cela concerne sa naissance) et un tantinet trop de prises au ralenti. C'est joli le ralenti mais quand c'est souvent et gratuit, c'est un peu long. On pourrait reprocher le jeu d'acteur par moments aussi, qui n'est absolument pas aidé par la post-synchronisation intégrale des voix, créant quelques moments de personnages qui parlent bien normalement en pleine course. Aussi le bruitage des pas dans la neige est agaçant. Mais bon là je chipote.

J'en ressors avec le même avis que j'avais du film avant de le voir. Mais en mouvement, c'est encore plus beau.



lundi 27 mai 2013

秀子の車掌さん





Un film de Mikio Naruse
Japon, 1941
V.F. : Hideko, receveuse d'autobus




Qu'est-ce qu'un receveur d'autobus? C'est quelqu'un qui t'accueille en entrant dans l'autobus, s'occupe des billets, surveille les passagers, pendant que le chauffeur s'occupe uniquement de la route. Un peu comme ces employés qui restent plantés à l'entrée des magasins pour dire bonjour. Hideko Takamine (qui prête donc son nom au protagoniste du film) occupe donc dans ce film un métier bien disparu de nos jours. Mais pire encore, elle est receveuse d'autobus pour une compagnie de transport qui n'a plus le vent dans les voiles, utilisant un bus dans un état lamentable et qui n'accueille plus que quelques passagers qui profitent du vide pour s'en servir de camion de transport ou d'autobus scolaire.

Heureusement, Hideko est une optimiste, souriante et entreprenante. Elle teinte le film d'une légèreté, accompagnée d'un soleil radieux que les gens combattent avec des limonades glacées. On a en fait plutôt l'impression de regarder une comédie légère de Hiroshi Shimizu (et il serait dur de ne pas penser à Arigatô-san (1936) un autre film léger d'autobus, mais qui s'apparente plus à un film road trip) qu'un film de Mikio Naruse. Le réalisateur est davantage connu pour ses films plus mélodramatiques (pour le peu qu'il est connu, ses films n'ont jamais été de gros vendeur par ici et sont disponibles hors du Japon qu'en trois coffrets ; deux au Royaume-Uni chez Masters of Cinema et British Film Institute, qui sont ses films essentiels, et un coffret de ses premiers films chez Criterion aux États-Unis, Collection Eclipse).



Entre les moments cocasses du film Hideko montre son enthousiasme à moderniser son autobus et avec son chauffeur réussi à obtenir l'aide d'un écrivain dans sa quête. Le charme du film est dans cet aspect si tranche-de-vie, ou tout conflit face à la quête est banalisé. Leur patron est un escroc, mais sa bonhomie et sa passion pour les limonades glacées en fait un personnage sympathique. Un accident de route se révèle banal, les blessures un rien. Les rumeurs que la compagnie est au point de la faillite? Le film ne tourne même pas en un scénario du style "sauvons l'entreprise du coin". Tout est si calme, posé, drôle et souriant, grâce à Hideko, que la tragédie sous-entendue est banalisée et rend la fin si poignante. C'est un film qui termine sur un sourire et des gens heureux, mais Mikio Naruse nous en laisse savoir davantage que nos protagonistes, et le moment où le générique de fin joue est poignant. Sans compter qu'on est en 1941 au Japon, tiens.

Le soleil, la légèreté du film? Le film rejoue dans notre tête après qu'il ait terminé, et ce qui avait été si banalisé pendant le visionnement prend de l'ampleur et nous fait tout voir sous un autre angle. On se retrouve comme les protagonistes.

Ce sera la première collaboration du réalisateur avec celle qui deviendra son actrice fétiche, mais aussi son dernier film d'avant-guerre.


samedi 25 mai 2013

Le Wazzou polygame





Un film d'Oumarou Ganda
Niger, 1971




(aïe aïe, deux mois sans nouveau film, j'étais si occupé ces derniers temps, je n'ai pas eu le temps d'en regarder un seul. Pas un seul! Rassurez-vous, j'en ai souffert)


C'est le deuxième film d'Oumarou Ganda en tant que réalisateur, lui qui a découvert le cinéma en jouant le rôle principal de Moi, un noir (1958) du célèbre cinéaste ethnographique Jean Rouch.  Le Wazzou polygame concerne donc un personnage que l'on pourrait décrire comme un Tartuffe, quelqu'un qui se prétente comme très attaché à des valeurs religieuses mais qui se révèle plutôt comme un hypocrite. Le wazzou revient donc de la mecque, obtenant le titre convoité de Hadji. Il discute de sa sagesse acquise avec d'autres anciens du village, puis vient à discuter de son désir d'épouser Satou, en faisant donc sa troisième femme, même si cette dernière était promise au jeune et sans-le-sou Garba. Le Wazzou utilise son argent pour convaincre la famille de Satou, même si cette dernière refuse absolument d'être mariée à lui. Évidemment, ne peut pas bien finir. On y conteste l'autorité et l'abus de pouvoir, mais ce sont les petits qui vont souffrir.



Je disais qu'Oumarou Ganda a découvert le cinéma via Jean Rouch, et sans pouvoir le confirmer je crois qu'il y a influence, des traces qui restent dans le style. Jean Rouch est le pionnier de la caméra épaule moderne, et Ganda reprend cette esthétique documentaire à son film. Plusieurs scènes, je pense à celle de la paye de la dot et celle du mariage, semblent captées du quotidien. Le récit est fracturé, bourrés d’ellipses qui font progresser l'histoire à pleine vitesse, l'on passe d'une scène de jour à une scène de nuit en une fraction de seconde, avec rarement des plans d'ensemble afin d'établir l'action. Mais le récit simple permet de bien suivre l'action, le tout aidé de quelques cartons titres (comme à l'ère du muet) qui donne un certain air de conte à l'histoire.

En somme c'est un film rapide, court et simple mais efficace. Le film gagne le premier prix au tout premier FESPACO, le festival majeur du cinéma africain, ce qui lui a donné une certaine notoriété relative au cinéma africain, qui reste dans son ensemble assez ignoré à l'étranger.


jeudi 21 mars 2013

Космический рейс





Un film de Vassili Zhuravlev
Union Soviétique, 1936
V.F.: Le voyage cosmique





Le Voyage dans la lune, 30 ans plus tard. C'est à peu près ça. L'art cinématographique a autant changé que la compréhension du voyage dans l'espace, mais Le voyage cosmique cherche autant à émerveiller le spectateur en anticipant le voyage vers la lune et ses nombreuses péripéties. Il s'agit d'un film axé pour la jeunesse (et réalisé dans le but précis de "éduquer la jeunesse", avec une assistance scientifique tentant d'offrir un voyage vers la lune le plus réaliste possible avec les connaissances de l'époque), avec un scénario simple, des jeunes qui se battent pour la cause scientifique, des sourires et un chat mignon, ça a presque des airs d'un vieux Disney. Et typique de l'Union Soviétique, les femmes jouent un rôle important. Le trio qui fera l'alunissage dans ce film est un enfant, une femme et un vieillard. Pas exactement ce qu'on nous a offert en juillet 1969.

Ce qui frappe d'abord est qu'il s'agit d'un film muet. En 1936, ce n'est pas très typique. Le muet a disparu plus ou moins en 1929, mais il a perduré en Asie jusqu'au milieu des années 30. En Union Soviétique, une poignée de films muets sont réalisés pendant les années 30, entre autre Le Bonheur de Medvedkine. J'ai cherché comme j'ai pu, Le Voyage cosmique semble être le dernier muet réalisé dans son pays. Avec Les Temps modernes de Chaplin, l'année 1936 donne vraiment l'effet du dernier souffle de cet art. Comme pour la plupart des derniers muets, le film était projeté avec une bande-son sur la pellicule plutôt qu'avec la présence de musiciens dans la salle. Le spectateur d'aujourd'hui est donc traité avec le même accompagnement qu'à l'époque, un mélange pas particulièrement original ou cohérent avec l'image de Bethoveen, Liszt et l'entièreté de l'ouverture des Hébrides ou la grotte de Fingal par Mendelssohn.

L'effet de ces choix musicaux, et le scénario visant les enfants donne un effet de film de série B. Le visuel et les effets spéciaux du film, le principal intérêt, eux renvoient un message plus ambigu. Les effets d'apesanteur et certaines miniatures sont pauvres, mais on ne peut en dire autant des décors et costumes, de l'imagination et des designs tirés des magazines de science-fiction de l'époque. D'autant plus que certains plans de caméra sont très beaux, l'un des plus mémorables et d'un effet saisissant étant l'énorme et lent travelling de caméra sortant d'une grotte lunaire pour y découvrir un paysage dominé par la présence de la terre dans le ciel.




Le film se déroule en 1946. On est toujours épaté par ces oeuvres qui présente un futur proche beaucoup trop avancé sur ce qui se révélera être la réalité. Ici il s'agit peut-être d'un effet d'enthousiasme pour l'avenir du pays : l'héroïsme du vieillard bolchevique, glorification de la manière soviétique, on plante un drapeau de l'URSS, on fait même un enseigne lumineux "CCCP" sur la lune!

Cependant, à sa sortie, le film sera mal jugé par les autorités, comme étant "insuffisant", et va rapidement disparaître. Les critiques n'aimaient pas le film non plus : le scénario n'est pas clair (pourquoi vont-ils sur la lune? Enfin bon, faut-il une raison pour y aller), les personnages n'ont aucune profondeur psychologique, il n'y a pour ainsi dire rien pour accrocher le spectateur, ce n'est que de la surface : péripétie, aventure. Enfin, c'était le début du stalinisme, personne n'allait contredire l'autorité. Les critiques avaient raison, mais ces péripéties, ces aventures et ce visuel sont bien amusants. Pas du tout un grand film, mais une grande curiosité.








samedi 16 février 2013

Кайрат




Un film de Darezhan Omirbaev
Kazakhstan, 1992
V.F.: Kaïrat





Le premier long métrage de Darezhan Omirbaev s'inscrit dans le courant de la nouvelle vague kazakh, que l'on pourrait dater entre 1986 et 1992. Courant est un bien grand mot, le terme est apparu au festival du cinéma de Moscou en 1989, peut-être pour attirer l'attention. Rachid Nougmanov, qui a entre autre réalisé le film le plus connu à être qualifié de ce terme (Igla, 1988, avec Victor Tsoi du groupe rock Kino, dont vous avez entendu au moins un titre dans Grand Theft Auto IV si vous être un pauvre gamer comme moi), a déclaré que le cinéma de cette nouvelle vague n'était pas unifié politiquement ou artistiquement, mais simplement par une liberté et un amour de l'art. On comprend donc que le Kazakhstan a su profiter de la perestroïka pour créer un cinéma national de qualité.

Kaïrat est le nom du jeune protagoniste du film. Celui-ci quitte sa campagne vers la grande ville dans le but de poursuivre ses études. Le film est raconté dans ce qui ressemble à une série de vignettes : il cherche à plaire à une fille, se querelle avec un voisin au dortoir... Le tout afin de nous faire vivre l'état d'esprit de l'adolescence : confusion, ennui, cette impression de maladresse et de ne pas savoir comment appréhender les choses, ne pas être sûr d'être réellement là, si il s'agit d'un rêve ou de la réalité... Malgré des allures de documentaires, l'on est entièrement dans la tête du personnage. Et le réalisateur cerne particulièrement bien cet état d'esprit en créant un film qui est à la fois lent et rapide. Il y a de grands vides, mais on peut soudainement avoir l'impression de rater des choses qui se sont déroulées trop rapidement. C'est étrange mais efficace.





Le montage en vignettes et cette immersion dans la tête d'un adolescent ne signifie pas que c'est un film décousu, le tout étant très simple et clair à la fin (pas qu'il y ait de résolution hollywoodienne cependant, on est loin du Bildungsroman). Les rares dialogues et la cinématographie austère en noir et blanc en format 4:3 contribuent de manière significative au sens du film, à cette impression de détachement.
L'urbanisme soviétique est aussi utilisé à l'avantage du film : beaucoup de vide, de grands espaces, qui distance tout. Et beaucoup de cadres dans le cadre : fenêtres, télévision, cinéma, jeux vidéos (on a droit à une petite visite d'une salle d'arcade authentiquement soviétique, et vide, évidemment).

C'est un film unique, très court - un peu plus d'une heure! pas mal pour y revenir une deuxième fois et mieux y décoder ses nombreux symboles - qui semble plonger dans le passé et s'inspirer de Robert Bresson, être de son temps en rappelant le cinéma indépendant de l'époque et voir de l'avant en étant un peu un Tsai-Ming Lang avant la lettre.




samedi 26 janvier 2013

Germinal



Un film d'Albert Capellani
France, 1913




Une adaptation du roman éponyme d'Émile Zola, d'une durée de presque 3 heures. On pourrait qualifier 1913 de la première année du long-métrage cinématographique. Pas que le long-métrage soit apparu il y a 100 ans cette année : The Story of the Kelly Gang, film australien de 1906 qui ne survit dans une une version très fragmentaire aujourd'hui, est considéré comme le premier long-métrage. Les autres ont suivis bien plus tard et ont tous une forte apparence d'une série de tableau plus près de la forme du théâtre que du cinéma (L'Inferno en 1911, Les amours de la reine Élisabeth en 1912...). C'est en 1913 que le genre prend vraiment pied, avec un assez grande productions de long-métrages et prenant pour la plupart d'entre eux une esthétique plus adaptée au cinéma. Atlantis (August Blom), Traffic in Souls (George Loane Tucker), L'enfant de Paris (Leonce Perret), Der Student von Prag (Paul Wegener) ou probablement le plus connu, Ingeborg Holm (Victor Sjöström)... Parmi bien sûr encore quelques films plus théâtraux (Le avventure straordinarissime di Saturnino Farandola de Marcel Perez est ma nomination personnelle comme premier nanard de l'histoire).

Germinal s'inscrit parmi ces films comme un des plus ambitieux, qui semble avoir un certain soucis de donner quelques lettres de noblesse au neuvième art. Le réalisateur, Albert Capellani, s'est déjà livré à l'expérience d'adapter Émile Zola avec L’Assommoir en 1909 (D'environ 35 minutes, déjà une longueur surprenante à l'époque), lui donnant peut-être la confiance nécessaire pour ce film qui est je crois le plus long jamais sorti jusqu'alors. En lien avec le naturalisme et la recherche documentaire typique de l'auteur du roman, Capellani filme son adaptation majoritairement en décors naturels, dans des paysages industriels du nord de la France, en employant la population locale comme figurants pour le film. Cela rappelle non seulement le néo-réalisme à venir, mais également une adaptation muette de Zola relativement plus célèbre, La Terre par André Antoine (1921). On peut noter que d'employer la population locale en 1913 a certains défauts : les gens sont tellement intrigués par la caméra qu'ils ne peuvent s'empêcher de regarder direct dedans, particulièrement les enfants. Cela gâche une scène de fête foraine où le réalisateur semble avoir perdu le contrôle, un des plans ressemble presque à un blooper qui jure énormément avec la bonne mise en scène du reste du film.

Le roman est suivi fidèlement : Émile Lantier perd son emploi et  se retrouve employé d'une mine où il prendra une part importante à la grève, tout en tombant amoureux d'une minière, Catherine. Cette dernière étant cependant la conquiête de Chaval, opposé à la grève...




Le soucis du réalisme offre au film son plus bel avantage que son ses décors naturels. L'on peut y apercevoir les mines et les usines en pleine opération. Capellani exploite souvent des routes comme motif visuel, et n'hésite pas à filmer des lieux lui offrant un décor qui s'étire très loin. Tout ceci justifiant donc ses longues prises en plan pied qui était la norme à l'époque. L'impossibilité de filmer à l'intérieur des mines l'oblige à recréer ces scènes en studio mais l'effet est convainquant, avec une caméra souvent basse et un décor presque entièrement plongé dans le noir. Seuls les quelques intérieurs conventionnels jurent avec le reste du film, ceux-ci sont tout à fait similaires aux autres productions très artificielles de l'époque.

Le film est très économe sur les intertitres. Ce que disent les personnages n'est presque jamais réécrit (il y a au total deux exceptions je crois, une déclaration à une réunion d'ouvriers et une phrase au téléphone), les intertitres se contentant plutôt d'annoncer la scène à venir. Le reste du film est raconté en images et principalement par le jeu des acteurs, qui est assez clair si l'ont s'amuse a s'imaginer ce qu'ils racontent. Les deux rôles principaux sont attribués à des acteurs de théâtre de réputation. Henry Krauss joue Étienne Lantier, et Sylvie joue Catherine Maheu. (vous avez peut-être déjà vu cette dernière dans le classique Le Corbeau d'Henri-Georges Clouzot, 1943) Cette dernière joue très bien son rôle alors qu'Henry Krauss alterne entre le naturalisme et le théâtral selon les scènes. Les dernières scènes plus que les premières, pour montrer le développement interne du personnage et son optimisme malgré les lourdes épreuves traversées. Les autres acteurs sont souvent plus théâtraux, mais l'on sent que le film est situé dans une période de transition dans le jeu d'acteur et que quelques années plus tard les choses seront complètement différentes. Un personnage intéressant à noter est celui de Souvarine. Avec son look de poète (il a des CHEVEUX LONGS, une ÉCHARPE, il lui arrive de LIRE et bon sang il a même UN LAPIN comme animal de compagnie!) il n'y a aucun doute qu'il va causer des ennuis. Hors il faudra presque deux heures avant qu'il ait une quelconque importance au scénario, et passe donc quasiment tout le film à avoir l'air songeur et regarder au loin de manière très visible.

Germinal est donc un film à la croisée des chemins, entre le théâtre et un soucis du naturalisme et qui de ce fait bâti le langage cinématographique. Il y a un peu de romantique noble vieillot (ce qui arrivait à l'époque lorsqu'on avait un désir très fort de faire du grand art avec un médium populaire), la finale optimiste (qui vient bien du roman) est un peu soudaine, et la rigidité du cinéma de 1913 (qui semble encore mettre une certaine distance entre les évènements à l'écran et le spectateur) n'est pas à mettre entre toutes les mains 100 ans plus tard, mais il s'agit d'un film réussi et encore prenant.