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Cinématurnome s'intéresse au cinéma plus ou moins oublié (qui a donc 20 ans ou plus). On aime pas attribuer des notes ici alors pour faire joli il y a des lunes qui indiquent un facteur relatif d'obscurité, comme ça, pour rien.

Libellés

mercredi 26 décembre 2012

Resan till Melonia



Un film de Per Åhlin
Suède, 1989
V.F. : Voyage à Melonia





Et on continue avec une deuxième adaptation animée de Shakespeare. Resan till Melonia adapte La tempête très librement. Je veux dire par là qu'en dehors du fait qu'il y a une tempête et que la plupart des personnages emprunte leur nom et plus ou moins une position similaire à celle du texte original. Tout le reste est changé afin de mettre en scène une fable écologique.

Prospero est un magicien qui crée la tempête du début de l'histoire afin de protéger son île, Melonia, de possibles envahisseurs. À bord, en dehors du capitaine, le timonier et une cuisinière, s'y trouve Ferdinand, un jeune esclave de l'île industrielle de Plutonia, ainsi que Slug et Slagg, patrons d'une usine d'armements. Le reste des personnages nous vient de La tempête, comme Ariel, Cabelan et Miranda. Il y a également un certain William, sorte de petit chien/peluche passionné de poésie et de théâtre et qui rend les choses très bizarres lorsqu'il trouve La tempête de Shakespeare et décide de la mettre en scène. Tout ces personnages sont bien établis et intéressants, c'est le genre de film avec une distribution d'ensemble où l'on peut avoir un personnage favori (mais difficile de choisir autrement que Cabelan et sa tête en légumes, quand même).

Melonia est une île paradisiaque, magique, à la végétation luxuriante et où il fait bon vivre. Plutonia est une île où il ne reste rien qui n'est pas fabrication humaine et est pleine détérioration. Le contraste est clair ; y a des gentils, y a des méchants, c'est un peu naïf. Hors, même si ce n'est pas assez poussé (encore moins dans le doublage français, voir plus bas), Prospero aussi n'est pas blanc comme neige, utilisant la magie de l'île ainsi que ses habitants à sa guise. Il reste qu'avec une telle dichotomie le film tente de pousser très fortement un message pro-environnementaliste simple qui n'en fait pas un film gagnant en subtilité avec un public vieillissant.




Ce qu'il garde par contre c'est un univers non sans charmes, ses personnages variés et un style unique. Comparé à plusieurs autres long-métrages d'animation européens pré-années 90, la qualité est assez bonne (retomber sur de vieux films d'enfance de l'époque mène souvent à de mauvaises surprises! Plusieurs au Québec se souviennent d'un autre classique de l'animation suédoise, Pelle Svanslös (Peter le chat sans queue, 1981), gardez-le dans votre souvenir tel qu'il est). Le look des personnages, stylisé et un peu brouillon à la fois, ne devrait pas autant bien se prêter à l'animation alors c'est une bonne chose. L'on pardonnera l'erreur occasionnelle comme un pantalon qui change de couleurs l'espace d'une seconde. L'animation en mer, avec les bateaux qui se déplacent de façon très réaliste (il n'est pas impossible que la même technique utilisée pour les voitures dans 101 Dalmatians soit réutilisé ici, à vrai dire j'en suis même sûr) et particulièrement l'animation des vague qui est très fluide mais hautement fantaisiste est un moment fort. C'est un peu comme tout le film avait du bon comme du mauvais pour chaque aspect. La musique est à son meilleur lorsqu'elle fait penser à du Vangelis, moins lorsqu'elle fait penser au générique d'une émission d'astrologie. La végétation de Melonia est particulière et belle, mais le reste est ordinaire et aucun plan n'est à couper le souffle.

Au final c'est un film qui résiste bien à un regard adulte, même si il n'est pas du tout fait pour cela. Il y a de quoi se plaire dans une foule de détails, comparé à un Nième films d'animaux animé à l'ordinateur celui-ci offre quelque chose de différent et de plus frais, même si il manque la perfection technique. Il y a cependant des problèmes de scénario difficiles à ignorer : des personnages étant capable de TOUT faire grâce à la magie est toujours un problème...







Oh!
 Mais peut-être que vous avez vu ce film dans votre jeunesse? C'est très très possible, il a été doublé en français par toutes ces voix familières de l'époque. Au Québec Voyage à Mélonia a passé à Ciné-Cadeau à quelques reprises et plus d'une personne en est nostalgique. Les différences entre la version française et la version originale sont... très grandes:



Déjà, et oui, là où la version française s'arrête... La version originale continue pendant encore plus de 10 minutes ! Plusieurs petits détails se concluent, le tout en chanson (peut-être les doubleurs n'avaient pas envie de chanter?) notamment Prospero redonne liberté également à Ariel l'oiseau.

Mais si ce n'était que ça! Presque 25 minutes sont coupées au total. Dur à dire si c'est ciné-cadeau au Québec qui en a coupé davantage ; les VHS françaises prétendent durer 97 minutes, ce qui laisse tout de même 10 minutes de plus à l'original.
L'interprétation de La Tempête de Shakespeare va plus loin, les personnages se déguisant en d'autres personnages du film:



La première nuit que passe à Mélonia Ferdinand, le jeune rescapé de Plutonia, est suivi d'un cauchemar, regardez-moi ça:




Ce cauchemar aide ensuite à établir une conversation entre Ferdinand et la fille de Prospero, Miranda. Également coupé au montage.

D'ailleurs voulez-vous une anecdote pour vos soirées mondaines? Dans la version originale, la voix de Miranda est donnée par Robyn, à l'âge de 10 ans, bien avant qu'elle ne devienne une chanteuse populaire!

Allez on continue. Ferdinand et le timonier se font donner un petite visite guidée de Melonia par Ariel à leur arrivée. Ce que vous n'avez pas vu c'est que l'île est habitée par un dragon:



un oiseau-lanterne:


Et plein d'autres créatures étranges qui laissent croire que Prospero abuse un peu de la magie de l'île.

En plus de cela, la version originale est en rimes, chose totalement perdue dans la version doublée. Cela entraîne quelques problèmes de traduction...
Bref. C'était quand même bien quand on était jeune. C'est un film qui a mieux vieilli que d'autres que l'on a vu alors.
Per Åhlin a également réalisé Dunderklumpen! (1975), un autre film qui passait fréquemment à Ciné-Cadeau... Mais je ne le retrouve pas. Tant pis...

vendredi 21 décembre 2012

Sen noci svatojánské



Un film de Jiří Trnka
Tchécoslovaquie, 1959
V.F. : Le songe d'une nuit d'été




Jiří Trnka est un réalisateur de films d'animation célèbre (autant qu'un réalisateur de films d'animation peut l'être), étant le pionnier du courant d'animation est-européen et à l'origine de la tradition tchèque extra-ordinaire du stop-motion (marionnettes animées image par image), mais sont oeuvre est difficile à voir.  Ruka (La main, 1965) son dernier court-métrage avant sa mort et son oeuvre la plus puissante peut être visible ici et là sur l'internet. Císařův slavík (Le Rossignol et l'Empereur de Chine, 1948) a connu une distribution tronquée à l'étranger qui rend quelques personnes nostalgique aujourd'hui.  Sen noci svatojánské est son dernier long-métrage. L'oeuvre est une adaptation du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, seulement la deuxième fois que l'histoire est portée à l'écran. C'est une adaptation assez fidèle mais où une approche poétique gomme un peu les éléments comiques. Comme dans la plupart des oeuvres de Trnka, les personnages ne parlent pas, seule une narration nous explique les évènements et les intentions des personnages.

Quasiment tout l'intérêt du film repose sur l'extraordinaire travail visuel. Il s'agit peut-être de l'ultime accomplissement de Trnka à cet égard. L'éclairage nocturne fait baigner l'univers baroque du film dans un bleu onirique tout à fait approprié, le design des fées sont d'une délicatesse splendide pour des marionnettes, et le jeu de composition est particulièrement notable. Le format d'écran rectangulaire avait quelques années au moment de la réalisation du film, mais de mes connaissances personne ne l'avait alors exploitée avec autant d'invention. Le film déborde d'idées sur l'utilisation du procédé, notamment sur la séparation de l'écran en plusieurs scènes. Un plan où un des protagonistes entend des amoureux au loin, l'écran se divisant alors en deux parties, fait penser aux idées de Brian de Palma plusieurs années plus tard.




Il est intéressant de constater alors que Trnka avait également filmé une version alternative du film (en utilisant une deuxième caméra filmant en même temps), en format académique, qui est même encore aujourd'hui la version la plus vue. Le plan ci-haut est alors coupé en deux:


Il est étonnant d'apprendre que malgré toutes ces inventions, Trnka était un sceptique du procédé et est retourné au format 1.33 carré par la suite.
Toute cette approche très stylisée et poétique (sans compter la narration) du film nous sépare cependant des personnages. Ce n'est pas aidé par le fait qu'ils sont nombreux dans cette histoire, et du coup le film s'admire comme un bel objet, impénétrable. Même la pièce des acteurs amateurs, Pyrame et Thisbé, qui se veut comique dû à l'incompétence des acteurs, est prise par la poésie du film et devient une sorte d'oeuvre pathétique et touchante. Cette approche fut décriée dans son pays comme de "l'art pour l'art", mal vu sous le régime communiste tchécoslovaque, et marqua le début d'une descente vers le pessimisme de l'auteur, culminant avec Ruka. Le film avait été pourtant fait avec un budget considérable, Trnka étant considéré jusque là comme un trésor national, acclamé à l'extérieur par des gens comme Jean Cocteau.

Le film fut réévalué depuis et il s'agit véritablement d'une oeuvre d'une beauté rare (j'ai souffert à choisir mes captures d'écran!), avec un travail couleurs et d'éclairage des plus fort de son époque. À regarder pour faire plaisir à ses yeux.



samedi 15 décembre 2012

源氏物語


Un film de Sugii Gisaburō
Japon, 1987
«Genji Monogatari»
V.F. : Le dit de Genji





Train de nuit dans la Voie lactée (1985) est un de mes favoris du cinéma d'animation japonais. L'adaptation un peu particulière de la célèbre nouvelle de Kenji Miyazawa divise la communauté des amateurs d'anime par son rythme très lent mais j'y retrouve des qualités rarement vu dans le genre. Par curiosité j'ai décidé de mettre la main sur le film suivant du réalisateur, une autre adaptation littéraire mais cette fois-ci basée sur le premier roman japonais. Malgré une sortie VHS en Amérique par Central Park Media (les pionniers de la traduction d'anime et ayant contribué à la popularité du genre) le film demeure peu discuté. Mais le rythme de Le dit de Genji est d'une lenteur extrême, poussant vers des limites qui ne rassurerait en rien ceux sceptiques face à l'oeuvre précédente de Gisaburo Sugii.

Le roman original est considéré comme un joyau culturel du Japon, introduisant le concept de drame psychologique des siècles avant qu'il soit courant dans la littérature et introduisant des personnages complexes capables d'exprimer des émotions. C'est aussi une oeuvre qui ne possède pas une histoire à proprement dit, avec une évolution narrative moderne avec un début, un milieu et une fin. Les personnages vieillissent au fil des évènements et il n'y a pas de fin claire, l'histoire coupant en plein milieu d'une phrase. (il est aussi considéré que les derniers chapitres ne sont pas de l'auteure original). L'adaptation de Sugii se contente donc de mettre en scène les premiers chapitres de l'histoire, suffisant à présenter le Genji (il s'agit d'un surnom signifiant quelque chose comme "radieux" ou "beau"), personnage principal de l'histoire, et le problème au coeur de sa vie.

Genji est fils de l'empereur. Sa mère étant morte lorsqu'il était enfant, il ne peut accéder au trône et doit créer sa propre branche de l'empire. La mort de sa mère à l'origine d'un développement d'une espèce de complexe d'oedipe qui complexifie sa vie. À travers ses amours, qui comprend la nouvelle femme de son père et sa jeune cousine pré-pubère, il cherche quelque chose qui manque à sa vie sans savoir quoi, et fini par perdre tout les femmes de sa vie.




L'oeuvre complexe n'est pas simplifiée par ses ellipses. Il est difficile d'identifier positivement les personnages sans avoir une légère connaissance de l'histoire en elle-même (un passage sur wikipédia suffit). Au Japon l'histoire est connue de quiconque va à l'école, expliquant peut-être cette absence de présentation claire des personnages. À noter que c'est aussi un phénomène présent dans l'oeuvre originale. Il reste que cette différence culturelle rend le film plus difficile d'accès chez nous.

L'autre difficulté est ce rythme très lent. Le film se complaît dans des silences et des déplacements de caméra   au ralenti. C'est encore quelque chose que l'on peut attribuer à l'oeuvre originale et à la culture japonaise. Le roman introduit le concept de «mono no aware», défini comme une sorte de sensibilité pour l'éphémère, l'impermanence, le temps qui passe... Quiconque est familier avec le cinéma de Yasujiro Ozu a probablement entendu le terme et en comprend un peu le sens. En animation japonaise, Isao Takahata peut être un autre exemple. L'on a ainsi des plans qui semblent davantage avoir une valeur esthétique, poétique, où rien n'est réellement raconté pour faire avance la trame narrative, mais servant tout simplement à présenter l'état des choses. Il y a entre autre un superbe plan d'une lenteur incroyable où le Genji se pratique à l'arc, on voit d'abord une flèche, puis un travelling horizontal infini de la caméra sur un fond complètement noir, passant devant un feu (en prise de vue réel, non animé) avant de révéler le personnage. Un autre exemple magnifique est une conversation à un dîner, où l'on ne voit jamais les personnages, mais seulement des tonnes de plans très lent en travelling horizontal de bâtiments sous la pluie, avec des chants distants que l'on entend dans le haut-parleur gauche.

L'esthétique du film a une allure un peu fade très "fin années 80" (dû en partie à comment le film a été piètrement converti en vidéo digital, visiblement bombardé de DVNR), aussi ressentie dans les effets sonores qui seront familier avec quiconque qui a regardé des dessins animés japonais de cette époque le samedi matin. Le Genji est particulièrement très féminin dans son look, ayant quasiment l'air d'une vedette de glam rock. L'animation est limité mais le style est plaisant (ou est-ce parce que Albator et compagnie m'ont habitués à ce style?), la composition des images soignée, et la musique est particulièrement belle. Un mélange de musique traditionnelle japonaise et de drone et musique d'ambiance moderne. Au final, malgré un look très différent, plusieurs qualités similaires à celles de Train de nuit dans la Voie lactée ressortent. Mais c'est ce dernier qui brille davantage, jouissant d'une trame narrative plus accessible.



vendredi 7 décembre 2012

PANORAMIC VIEW OF THE
MORECAMBE SEA FRONT



Un film de Sagar Mitchell et James Kenyon
Royaume-Uni, 1901






Ouf. Un mois depuis le dernier film. L'autre blog m'a pas mal occupé pendant le mois de novembre, à un point tel où je n'ai pas vraiment regardé de films. Ce blog va reprendre vie, et juste pour amorcer les choses, voilà un film de... deux minutes, que j'ai découvert il y a un peu plus de deux ans et qui me revient souvent à l'esprit.

Le premier plan (première image ci-haut) est statique. Des gens nous fixent droit dans les yeux, des gens probablement tous impossibles à identifier aujourd'hui et dont il s'agit peut-être des seules traces. Ces films du cinéma des premiers temps ont cette qualité étrange de nous émouvoir juste par leur âge. Un univers disparu, soudainement de nouveau rejoué devant nous. Toute imperfection de la pellicule et ce noir et blanc nous en distance davantage.
Panoramic View of the Morecambe Sea Front est comme les autres films de cette époque, bien qu'il apparaît tardivement dans ce cycle. Des scènes de la vie quotidienne, filmée tout simplement car les gens aimaient aller assister à une projection pour se voir eux-même, reconnaître un environnement familier. La compagnie Mitchell & Kenyon produisait ces films à la tonne, parfois étant même filmés et projetés la journée même. L'occasion parfaite de se voir au grand écran. Quoi de plus vendeur, en 1901? Il n'y avait pas encore de longs-métrages, les films de fiction étaient très théâtraux et duraient rarement plus de 5 minutes, le langage cinématographique n'était pas encore développé.

Quelques secondes après avoir débuté, ce petit film britannique quasiment fait pour être jeté le lendemain se révèle comme le plus beau film de son genre, un aboutissement ultime d'une extraordinaire beauté.





Rapidement, la caméra commence à bouger, et le reste du film est un long travelling (déplacement de la caméra) d'une promenade au bord de la mer. Ce qu'il s'y passe ensuite est qu'une tonnes de détails fascinants s'accumulent, donnant une vie époustouflante à un film qui aurait pû être si ordinaire. L'homme qui joue avec son parapluie, les trois hommes qui traversent, dont un qui salue la caméra, les deux très jeunes soeurs qui se tiennent la main, l'unijambiste et sa canne, la plage remplie qui se révèle au loin peu à peu... une foule de personnages colorés défilent devant nous.

Cela est déjà magnifique et un cran au dessus des autres productions du genre, mais le plus percutant est cet élément unique qui transforme tout : les jump-cut.
La caméra avance à bon rythme, elle croise un banc où sont assissent trois dames et leurs parasols. Soudainement, tout change. Les dames ont disparues. À la place, une petite foule de gens, complètement figés, fixent la caméra. La caméra continue d'avancer. D'autres gens d'il y a 110 ans de cela nous regarde droit dans l'âme. Puis, tout à coup, la vie reprend, le tout redevient naturel, avec ces passants qui s'occupent de leurs affaires. Et cela arrive ailleurs dans le film. Les gens occupés à vivre leur vie sont soudainement remplacés par des gens qui nous fixent. Comme si ils cherchaient à nous contacter. Le résultat est d'une poésie époustouflante.

Ajoutez à cela ces deux enfants qui courent en suivant la caméra jusqu'à la fin du film. Ils se retournent sans cesse vers nous dans leur course. Ils nous saluent d'un coup de chapeau au bout des bras, souriant à pleine dents à l'idée que nous sommes en train de les regarder, 110 ans plus tard. Ils nous transmettent leur bonheur.

C'est l'un des plus beaux films.




lundi 29 octobre 2012

Drakula İstanbul'da



Un film de Mehmet Muhtar
Turquie, 1953
V.F.: Dracula à Istamboul





Drakula İstanbul'da nous vient d'un effet de mode du cinéma turc des années 50 de faire des « X İstanbul'da». Tarzan à Istanbul (1952), les soucoupes volantes à Istanbul (1956).... De quoi nous faire penser aux populaires Turkish Star Wars (Dunyayi Kurtaran Adam, 1982), Turkish Superman (Supermen Donuyor, 1979), Turkish E.T. (Badi, 1983) et autres ultra-navets qui donnent un bien mauvaise réputation mondiale au cinéma turc. Hors ici ce n'est pas vraiment le cas, ces films des années 50 étant honnêtes et de bonne facture.

Le film qui nous intéresse ici a la distinction d'être le premier Dracula filmé depuis la version de Universal et donc au minimum la troisième version filmée. Il s'agit pourtant du premier Dracula à avoir de longues canines!

Et pas seulement ça, parce que le film suit de près le roman original. Mais avec également quelques changements significatifs. Comme le titre l'annonce, Dracula s'en va à Istanbul plutôt qu'à Londres. Mais c'est aussi un Istanbul moderne qu'on nous présente (de toute façon à l'époque du roman, la ville portait le nom de Constantinople). La première chose qu'on y voit, c'est des néons, des voitures de l'année, et une scène de danse mambo! Du coup il n'y a pas de croix pour combattre Dracula, mais seulement de l'ail. Il y a quelques changements mineurs, par exemple Dracula n'a qu'une femme, d'autres majeurs, comme l'élimination complète du personnage de Reinfeld. Ce qui me fait énormément plaisir. Que ce soit Knock dans Nosferatu ou le Reinfeld de Dracula (1931), j'ai toujours peu apprécié sa présence trop longue à l'écran et son air de bouffon. C'est un point de vue personnel (y a t-il des fans de Reinfeld?), mais du coup pour moi ce film garde mieux son intérêt après la première partie dans le château, là où la plupart des Dracula perdent leur cadence. La partie du château est aussi bien longue, 40 minutes du film. Étrangement les intérieurs de chez Dracula font penser à un tombeau égyptien avec quelques armures et chaises pour décorer...





C'est donc une adaptation fidèle et de bonne facture. Par contre en coupant ici et là, le film a des trous et demande d'être familier avec l'histoire de Dracula pour s'en sortir. Il y a aussi des trous plus troublants, comme une scène où Lucy (nomée ici «Sadan», tout le monde ayant bien sûr des noms turcs) met un collier d'ail pour se protéger du vampire, et 2 minutes plus tard c'est complètement oublié et elle se fait mordre (dans la version de 1931, Dracula hypnotise la garde-malade pour qu'elle enlève le tue-loup... qui remplace bizarrement l'ail).

Dracula est joué par Atif Kaptan, acteur de longue carrière. Pourtant il n'a pas une grande présence à l'écran, et son interprétation ne surprendra personne, sans compter la calvitie qui est un peu étrange. L'on est très loin du Bela Lugosi plein de charisme et délicieusement à côté de la plaque, il suffit de voir comment est livré la fameuse phrase «Listen to them, children of the night, what music they make».

Le travail visuel est quant à lui correct sans plus. Quelques mouvements de caméra transparents, quelques éclairages travaillés.... L'on y répète le truc d'éclairer directement les yeux de Dracula afin de lui donner un air inquiétant, comme l'avait fait Karl Freund sur Bela Lugosi. Mais si les chauves-souris du Dracula de 1931 constituaient l'aspect le plus ringard du film, ici elles ne battent même pas des ailes! Par contre il est impossible de ne pas mentionner l'état piteux du film. Une compagnie turc a sorti il y a 4 ans un DVD du film, qui fut aussitôt retiré du marché pour cause de copyrights, et en plus d'une télédiffusion turc tiré de la même source c'est la seule version du film disponible. C'est un transfert numérique qui date visiblement d'une époque très lointaine, avec un mauvais contraste. Mais cela n'est rien comparé à l'état du film lui-même, qui frôle la détérioration totale. Égratignures, trous et coupures, mais aussi de la moisissure et une instabilité dû visiblement à un rétrécissement de la pellicule, comme si elle avait été repêchée du fond de la mer. Le son disparaît brutalement à quelques occasions, est parfois désynchronisée et toujours enterrée sous une tonne de bruit. Le mieux est l'erreur de tracking où le haut de l'image se retrouve en bas! Les archives cinématographiques turcs sont en piteux état généralement et dans ce cas-ci cela affecte énormément le visionnement du film.

Drakula İstanbul'da vaut le coup pour les fans de Dracula parce qu'il n'est pas médiocre mais probablement pas en dehors de ça. Il n'a pas les qualités des versions les plus célèbres et il y manque un certain plaisir, se contentant plutôt de passer au travers des scènes du roman, l'idée de situer le film en Turquie contemporaine étant finalement plus contraignante qu'un ajout qui inspire les créateurs de l'oeuvre.






Et c'est tout pour mon mini-festival d'horreur!

dimanche 28 octobre 2012

ESTA NOITE ENCARNAREI
NO TEU CADÁVER



Un film de José Mojica Marins
Brésil, 1967
V.F. : Cette nuit je m'incarnerai dans ton cadavre
(quand même, quel titre génial)






Coffin Joe est de retour. Il s'agit du deuxième film de la trilogie (complété en 2008, soit 41 ans plus tard!). J'ai vu le premier film (À Meia-Noite Levarei Sua Alma (V.F. : À minuit je posséderai ton âme), 1964) l'an dernier et j'ai inclus mon commentaire fait à l'époque tout en bas de ce commentaire-ci. J'avais trouvé le premier absolument magistral, mais qu'en est-il du deuxième?

Coffin Joe, cet entrepreneur de pompes funèbres obsédé par l'idée de procréer un fils parfait, a échappé de justesse à la mort et est déclaré non-coupable pour tout ses crimes par manque de preuves. Le village est évidemment totalement effrayé par cet homme qu'ils croient possédés du démon. Comme toujours Coffin Joe rejette les croyances spirituelles de son village, ce frein au développement personnel, et se considère largement supérieur à tout ceux qui l'entoure. Et il recommence sa quête de la femme idéale qui saura porter son enfant, en tuant horriblement quiconque se met dans son chemin.

Le film a un meilleur budget, le générique d'intro n'est plus collé au ruban adhésif. Non... il est carrément inscrit sur la pellicule du film, image par image! Tout ça d'une "musique" d'intro assez démente de cris, sons électroniques, bruits d'otaries (!?!?!?), et un rythme tribal. L'ambiance est posée. En fait ça commence plutôt lentement, avec le retour de Joe au village et tout ça, mais après un moment on plonge à nouveau dans un délire tourmenté complètement surréel.





Joe est plus sage aussi, ne mutilant plus des gens devant tout le monde. Il est plus surnois, ayant peut-être appris à se méfier de tout ces faibles qui l'entoure, mais il torture plus longtemps ses victimes. Il continue aussi à expliquer sa philosophie de la vie à la moindre occasion, ce qui fait son charme, mais son propos est moins clair. De toute façon il est déjà expliqué dans le premier film. Le film arrive à se tenir debout tout seul, si jamais vous tombez dessus par hasard.


On a deux fils conducteur, soit bien sûr sa recherche de la femme idéale, mais aussi de son affront aux forces divines. À force de blasphèmes, Coffin Joe est aspiré sous terre, pour faire une visite de l'enfer. Ce sont les 10-15 minutes les plus incroyables du film, un festin d'horreurs grotesques en couleurs éclatées qui ne ressemble à rien d'autre. Il s'y passe des centaines de choses en même temps dans chaque plan, avec des membres humains qui sortent de toutes les parois. C'est incroyable même sans considérer les origines très modestes de ce film (tout le budget a dû y passer, quand même). Un tour de force, et même si ce n'est qu'une scène, le reste du film n'en devient pas fade, grâce à la présence du protagoniste complètement amoral et halluciné.

Le film n'est pas sans incohérences scénaristes ( elles explosent de partout, même), ni faiblesses (l'acteur qui joue Truncador, l'homme fort du village, livre ses lignes comme un joueur de hockey). Tout aussi réussi que le premier en somme, et ensemble, ces deux films constituent peut-être un des moments fort du cinéma d'horreur (horreur humoristique, aussi) des années 60. Si on aime les trucs aussi uniques, bien sûr.










Commentaires sur le premier film, il y a un an jour pour jour (Cliquez ici pour afficher)

À Meia-Noite Levarei Sua Alma, José Mojica Marins, Brésil, 1964.

Là je vous déterre un trésor enfoui parmi les coins les plus obscurs du cinéma. Au début des années 60, le code de censure brésilien tombe. Pour José Mojica Marins, c'est l'occasion de réaliser ce film. N'ayant absolument aucun moyen, il emprunte de l'argent à ses parents, et ne trouvant personne d'intéressé par son film, joue lui-même le rôle titre. Le cinéma indépendant étant quelque chose de quasiment jamais vu à l'époque, c'est déjà quelque chose. Mais pas seulement ça, At Midnight, I'll Take Your Soul est aussi un film qui révolutionne le cinéma d'horreur. Et ça se passe au Brésil nom d'un chien
Le protagoniste du film n'est pas un héros, d'ailleurs il y en a aucun, mais il est le «monstre» lui même : Coffin Joe (appelé "Zé" dans le film) est le croque-mort d'un petit village brésilien. C'est un petit village très croyant et superstitieux, mais Joe n'en a rien à foutre, il déteste très fortement les croyances religieuses, pour lui il s'agit d'un frein au développement personnel, et tout ceux qui ne s'élève pas au dessus de ça est pour lui un faible irrationnel. En plus de cela, pour lui la vie n'a qu'une fonction et c'est celle de continuer sa lignée, et il lui est primordial de procréer. Sa priorité au long du film est donc de trouver la "femme idéale" (qui correspond à son idée de supériorité) et de se reproduire. Et celles qui refuseront seront violées (le film est complet avec une scène vraiment affreuse), et ceux qui se mettrons dans son chemin seront tués. Ce film est DINGUE.
Le film débute sur Coffin Joe qui parle directement à la caméra comme un démon possédé "QU'EST-CE QUE L'EXISTENCE? C'EST LA CONTINUITÉ DU SANG! QU'EST-CE QUE LE SANG? C'EST LA RAISON POUR LAQUELLE IL FAUT EXISTER!" Et vlan générique démoniaque plein de cris agonisants et de textes gothiques collés au ruban adhésif sur la pellicule du film. Après il y a une vieille femme folle qui nous fait un monologue incohérent nous suggérant de ne pas regarder ce film et que notre âme est maudite, qu'il est encore temps de sortir de la salle. Elle regarde une horloge, elle nous dit qu'il est trop tard, que nous sommes perdus, et puis le film commence. Pfou.
Et donc pendant le film Coffin Joe blasphème, assassine les gens qui se mettent sur son chemin (et il se permet de mutiler les gens devant tout le village parfois, au début du film il arrache le doigt de quelqu'un dans une taverne, et sans émotions lui offre de payer sa visite à l'hopital), n'hésitant pas à s'en prendre à ses proches, et poursuit sa quête au point de mettre Dieu au défi, en criant au ciel comme un dément de lui donner un preuve de la damnation éternelle, en détruisant un cimetière en même temps.
Le psychotronique à son meilleur. Le film reste amateur et bas budget, le montage pourrait être plus resserré par endroits, certains cadrages pourraient être meilleurs, mais le film fait tout de même preuve d'une inventivité splendide à certains endroits. Nous sommes en 1964, pas en 1966, et José Mojica Marins nous invente le méga-gros-plan sur les yeux à la Sergio Leone (Le Bon la Brute et le Truand) avant que Leone ne le fasse. Et tout ça dans une scène où Coffin Joe écrase les yeux d'une de ses victimes!


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